Il y a de ça dans le choix de l’autoédition. Se renseigner, comparer et choisir parmi les sélectionnés. Etre celui-là qui décide. Ils sont pléthore, plus acharnés à convaincre les uns que les autres, vantant leurs services, affirmant leur professionnalisme, affichant leur librairie fournie, étoffée, leur simplicité d’utilisation, leur efficacité. Eux aussi vivent avec leur temps ! Et ça se sent… En quelques clics tout sera décidé sans que vous ayez été contraint de vous déplacer, leur adresse à Paris est virtuelle et leurs bureaux s’ils en ont sont en province. Si vous rêviez d’être reçue dans un bureau austère, après avoir patienté dans une salle d’attente aux murs lambrissés où votre voix vous donne l’impression de résonner comme dans une église alors qu’elle se trouve réduite à un souffle entravé par l’émotion, tant l’heure vous semble aussi inespérée que solennelle, vous pouvez oublier. On vous offre au contraire une version « zen de A à Z » sans la plus petite perturbation émotionnelle avec pour unique dérangement sonore le cliquetis de votre doigt sur une suite d’encadrés « continuer » jusqu’à ce qu’il vous soit demandé de transcrire la suite de chiffres dorés, ceux en relief sur votre carte bancaire.
A mon âge ai-je encore besoin d’être reconnue ? Mon ego n’at-t-il rien perdu de sa superbe, malgré tout ce travail sur moi ? Il est urgent de me donner la permission de me contenter de me connaître moi et de me reconnaître telle que je suis : une femme qui écrit et veut donner aux autres la possibilité de la lire. What else ?
Que je sélectionne un éditeur ou que je sois sélectionnée par lui n’y changera rien. Dans les deux cas, je ne serai pas lue ! Alors vingt, cent ou trois cents exemplaires, quelle différence au fond ?
Alors pourquoi les avoir sélectionnés eux ? Qu’en pensait mon comité de lecture ? Avaient-ils recueilli l’unanimité ? Oui, moi aussi je me suis entourée d’un comité de lecteurs. Il n’y a pas de mal à copier leurs méthodes ! Et aussi pourquoi payer, plutôt que de cliquer chez ceux où tout est gratuit ? Par fainéantise, dirais-je. Et aussi parce que suivre un pas à pas d’instructions à l’impératif, quand ce n’est pas carrément à l’infinitif, non vraiment, j’ai passé l’âge : télécharger votre manuscrit en PDF, jusque-là je pouvais assurer, passer de Word à PDF, s’ils y tiennent, continuer, clic, nom prénom adresse, photo de couverture, comme vous y allez, là tout de suite ? Ben, j’écris moi, je ne suis pas photographe et encore moins graphiste… Et ce qui est gratuit, ça a un petit côté « bas de gamme », ça ne conviendra pas à la pointilleuse que je suis, à se mettre la rate au court-bouillon pour une histoire d’alinéa oublié ou à cause d’une certaine désinvolture dans le traitement des espaces avant ou après les signes de ponctuation. C’est ce petit côté « moche » d’un texte où on a tapé les espaces au petit bonheur la chance, qui heurte l’œil déjà agressé par la luminosité de la tablette, cette impression de « pas cher » que je ne souhaitais pas. Tout comme je ne fais pas les soldes, afin de ne pas avoir dans mon dressing une fripe que je ne porterai jamais et qu’on voudrait m’obliger à aller choisir pile durant une période fixée par autrui. Je n’ai jamais pu me soumettre à cette dictature. Je préfère au contraire choisir en toute liberté le moment où je me sens d’humeur à aller m’asphyxier et me faire hypnotiser sous les néons tape à l’œil dans des cabines dignes des vestiaires de piscine municipale aux miroirs déprimants.
Non, moi, j’ai décidé de payer ! Le comité m’a approuvée. Payer pour ne pas regretter mon choix. Choisir celui-là, choisir cet éditeur-là, malgré un inconvénient de taille : son nom ! Un nom inesthétique en plus d’être en anglais. Un nom qui ressemble à celui d’un logiciel assez connu. Qui aurait envie d’avoir cela écrit sur son livre ? Pire que de porter à même le t-shirt qu’on a acheté bien cher le logo de la marque elle-même, parfois aussi débile que le nom d’un des trois petits cochons ou encore homonyme de terme graveleux. Eh bien eux, c’est pareil.
Alors pourquoi eux ? C’est tout bête, à cause d’un relent, un zeste, un soupçon d’«Air du temps juste avant », celui où les gens se parlaient au téléphone. Je sais qu’à l’ère des scans, des mails et autres, ce genre de moyen de communication a une connotation certes désuète. A moi il a semblé délicieux, comme la voix de Claire Abrieux au téléphone, une odeur de douceur, de fraîcheur comme un chewing-gum à la fraise ou à la chlorophylle, une odeur de jeunesse aussi, de fleurs des champs, de prés dorés sentant bon un endroit où l’on se sent chez soi, où il fait bon vivre. Mais une communication téléphonique n’aurait pas suffi à emporter le marché, non, pour être choisi, élu parmi les nombreux sélectionnés, il a fallu la célérité d’une équipe de haut niveau : la leur a répondu instantanément au mail qui comportait une question ! Répondu au mail, pas à la question, les Petits Malins… Que contenait leur réponse, alors ? Une invitation à joindre par téléphone la responsable éditoriale, Claire Abrieux. Et le numéro composé par mes doigts encore habitués eux à enfoncer des touches sur le combiné d’un appareil téléphonique classique a répondu et on m’a passé directement Claire Abrieux en personne… Et c’est là que ça a commencé à chanter entre les notes parfumées de gentillesse agrémentées d’une fragrance de compétence (ou plutôt l’inverse pour un dosage heureux) de la voix de la responsable éditoriale un petit air de victoire : j’étais entrée dans la bonne maison d’édition et on passerait sur son nom qui sentait à plein nez la multinationale, les études de marché, les lobbies, le monopole,…
Après tout, personne n’est parfait !