" Sous le fer, jaillissement de petits sons
bleutés, électriques
Tu cherches un mot qui n'est pas. Un
mot noir. Fermé comme une main sur
sa blessure. Vainement sa claire vision,
brève, brutale.
Dire que tu n'es rien. Qu'un chemin de
joie inquiète, torturée."
Hauts Déserts
Michèle Dujardin
Extrait
Quelque chose s'est passé ce matin on se demande pourquoi est-ce la proximité du nom qui ne diffère du tien que par une seule lettre et c’est bien sûr par celle qui toujours pose problème à l’autre en face qui te demande ton identité celle qui n’a pas comprise et il faut rectifier et c'est agacement souvent que non ce n'est pas « du » ce n'est pas "des" c’est « de » ton nom, elle c'est « du » et elle écrit. Dujardin et elle écrit de la poésie et toujours quelque chose fait barrage, tient à distance. La poésie... de ce si peu de mots sur une seule page et tout ce blanc et les voilà comme jetés en vrac ou échoués, malmené aussi le sens à cause de tout ce qui fait manque, quand toi tu écris dense et lourd en paragraphe bloc avec ces mots serrés les uns contre les autres à la ligne tu n’iras qu’une fois bien remplie celle du dessus et les empiler sans espace comme serrer des livres dans une bibliothèque déjà pleine à remplir l'espace imparti en mettre le plus possible ne rien oublier les serrer les uns contre les autres il faut et là non dans la poésie quelques mots seulement dans tout ce blanc et le sens qui t'échappe et ce vide insistant à hurler tant d’incertitudes de questions sans réponse ça te repoussera, la poésie ce n’est pas pour toi. Il t'est venu l’idée d’aller voir à la fin, procéder comme s’il s’agissait d’un vulgaire roman, et tu t’es mis à lire la dernière page puis celle d’avant comme une caresse à rebrousse-poil. L’impatience ne dictait plus ton pas, tu étais arrivée à la fin on n’attendait plus rien de toi. Tu as trouvé qu'on y parlait d'écriture tu ne l'avais pas compris et voilà qui changeait tout tu voulais bien la suivre de cette façon étrange comme un chien affamé et méfiant qui espère autant qu’il redoute. Tu lis toujours plus avant en te rapprochant du début il te faut bousculer le sens de la lecture pour oser chercher le sens ou oser donner sens et tant pis si ce n’est pas celui qu’elle lui a donné et si tu dévies son projet. Il te semble percevoir que le combat qu'elle mène à escalader des montagnes fait écho en elle à la recherche du mot juste pour décrire l'effort et le paysage le chemin traversé tu commences à en saisir la beauté tu acceptes peu à peu le minimalisme de l'écriture la présentation du livre avec son avant-propos si dense que tu t’étais demandé s'il n'y a pas quelque indécence à pareille longueur pour une préface comme tirer toute la couette à soi dans un lit double mais tu n’y connais rien tu te gardes bien de juger on n’en est pas à compter le nombre de caractères ce qui suit est un livre de poésie et tu commences à apprivoiser le texte tu le reprends du début il ne te fait plus peur tu examines chaque mot tu le fais résonner en toi tu relis toute la strophe à haute voix ton corps s'approprie la vibration ton cerveau accepte de donner du sens et ce sera ton sens ainsi que tu as compris cette strophe-là et l'envie d'écrire qui se lève cette envie de dire cette envie d'exprimer ce que tu as sur le cœur ce que tu as dans le corps ce que ça t'a fait ce matin la lecture de cette poésie-là toi aussi ce matin tu as escaladé la montagne avec ces mots à elle, Michel Dujardin, Hauts Déserts, Cheyne Éditeur.