Ces cinq textes se sont écrits suite à une proposition de François Bon à l’atelier permanent Autobiographies. J’en publierai un chaque jour comme mise à l’honneur de celui que le vent de mercredi soufflant à 140km/h a fendu.
l’atelier permanent – Tiers Livre, explorations écriture
Texte 1.
Je suis un des deux, celui venu après, pour attacher le hamac, le faire tenir entre nous deux il fallait, quand le premier c’était juste pour le bruit du vent dans son feuillage et de suite pour moi c’est assignation moins glorieuse. Plantés trop près forcément, pour le bien-être de l’homme, et c’est au détriment de notre épanouissement, voire de ma survie. Imprévoyant à ce que nous deviendrions. Inattentif, égocentrique. Tel est l’humain, à s’approprier tout ce qui l’entoure. J’ai été celui qui tombe, rebelle à ce lieu d’implantation. Espoir de lui faire ouvrir les yeux, de lui donner une chance de m’éloigner un peu. Je suis celui dont les racines rechignaient à s’agripper à la terre. J’ai fini par les pousser aussi fort que je pouvais dans le peu de terre qui recouvrait la roche granitique, là où tout était occupé par celles de l’autre à côté. Deux eucalyptus certes, mais de familles différentes. Mes feuilles sont parfaitement rondes et plantées en corolles. Je suis de l’espèce que convoitent les fleuristes avec des rameaux rigides et droits, d’un vert bleuté très prisé. Pour m’élever malgré la proximité de l’autre, il a bien fallu pencher. Ensuite faire grandir un second tronc pour contrebalancer. Mais même ainsi mon équilibre est précaire. J’ai beau être le préféré, je reste celui qui ne peut cacher qu’on ne lui a pas fait la place, celui qui porte ancrée sa chute probable dès l’implantation et malgré avoir déjà été sauvé deux fois, je m’écraserai sur la maison, transperçant le toit d’ardoises grises et les corps couchés dans les lits à l’étage. Si la tempête me fait capituler, tenir au moins jusqu’au matin comme la chèvre de Monsieur Seguin, le temps du réveil avec les chambres naturellement vidées de leurs occupants. Tenir, c’est la force morale des plus grands d’entre nous. Je suis de ceux-là, revendiquent mon appartenance. Peu de latitude pourtant pour infléchir le cours des choses, pour survivre ou se défendre. A part ceci peut-être : mes feuilles comme celles de mes congénères peuvent devenir toxiques, si des chèvres ou autres pachydermes s’acharnent à dévorer notre feuillage et ça les oblige à ne se sustenter que du nécessaire. Dressées sur leurs sabots arrière leurs cous tendus vers mes feuilles qui tentent de leur échapper elles se prennent pour des danseuses faisant des pointes, leurs panses lourdes comme ayant perdu densité, elles frisent une sorte d’élégance. J’aime moins quand elles s’attaquent à mon tronc. Des dents et parfois des cornes, tel le taureau visant le matador jusqu’à ce que poigne humaine les emmène ailleurs. Je suis de la race des assignés à résidence.