La série des noms qu’on a donnés à ces villas d’une station balnéaire de la Manche. Et pour partager de l’extrêmement proche très vite via Facebook, c’est photographier qu’il fallait et en publier une par jour. La photo réduite à l’inscription au fronton, sur la barrière, la boîte aux lettres, le pilier du portail… Et pour rapprocher encore l’extrêmement proche, il m’avait fallu bien souvent utiliser le zoom de mon téléphone. La maladresse pour cette manipulation, écarter ou rapprocher les deux doigts au contact de l’écran et l’énervement qui s’en suivait de devoir s’y reprendre à deux ou trois fois. Recadrer depuis l’ordinateur au retour de promenade, il fallait. Appuyer sur la touche « améliorer », mais pas toujours. Parfois l’effet sombre de la photo d’origine convenait mieux à l’ambiance de la demeure. Cadrer était synonyme de couper, rejeter tout ce qui n’était pas l’inscription, le nom qu’on leur avait donné, à elles, résidences secondaires. Où l’on ne vivait pas à l’année avec l’utilisation de ce « à », dire « à l’année » plutôt que toute l’année, on vit ailleurs toute l’année par choix ou par obligation. Partager de ces maisons le nom dont on les a baptisées, qui véhicule l’espoir qu’on y place d’une vie rêvée, de moments parfaits, de famille unie ou de solitude réparatrice. Depuis ce seul nom, laissez chacun qui déchiffre la photo imaginer le rêve qu’il véhicule, la famille qui possède le bien. Et gommer volontairement tout le reste, le laisser hors cadre, c’est ce que je m’étais promis, pour les mettre toutes sur un pied d’égalité : le rêve que chacune avait porté. Hors champ la taille, la vue mer, les balcons ouvragés, les toitures sophistiquées, les tourelles délicates, les bow-windows lumineux, les colonnes, les terrasses abritées, tout comme hors champ la taille réduite, le crépi bon marché, le revêtement synthétique, la cabane de pêche d’origine ou celle améliorée, agrandie, la construction minuscule entre deux grosses. Hors champ les ravages du temps, la décrépitude ou la toute fraîche rénovation aux teintes à la délicate netteté. Parce qu’à regarder la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait.
Il y avait eu la série de photos prises, mais jamais publiées, que j’aurais intitulée à la manière de Sei Shõnagon Liste des choses abîmées avec les boîtes aux lettres rouillées, les grilles de portail rongées, les barrières de bois pourrissant dont une planche manquait, les volets blancs où la rouille des gongs dégoulinait comme d’une plaie béante…
Il y a ces phrases que j’accroche aux fils électriques photographiés qui s’offrent à l’écriture comme suspendre des mots avec des pinces à linge et si je dessinais bien, c’est le dessin que je ferais moi-même. Rajouter à la plume à l’encre noire sur la photo un fin tracé de pinces à linge, deux prévues pour chaque mot, et il y en aurait assez et pas toujours une qui manque comme ça se passe dans la vraie vie.
Il y aura les photos des cheminées normandes du même lieu de la Manche en retrait du bord de mer. Leur aspect si massif par rapport à celles de mon pays d’origine. Plus imposante parfois que la maison elle-même. Une masse de granit à défoncer le toit, l’impression qu’elle donne. Comme quand celui qui fait la courte échelle est plus chétif que celui qui grimpe et le pied sur l’épaule et parfois jusque sur la tête fait trembler pour celui dessous. La cheminée quel soit son toit d’appui à vouloir atteindre le ciel.