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annetadame

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Ce blog est né de l'envie de partager mes états d'âme durant la promotion de mes deux derniers livres publiés, l'autodérision comme une arme... Aujourd'hui il est une porte entrouverte sur mon laboratoire d'écriture avec des textes issus directement de mon carnet du moment et qui trouveront place dans un livre en cours ou pas. Merci de votre passage.

photographie

Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #Littérature, #Audio, #photographie

Toi, tu pourrais vivre n'importe où, il dit, vivre avec Ben, avec le mari de Julie et même avec Julie, tu pourrais. Sans maison sans objet. Pas sans objet, elle dit, ni sans maison. D’ailleurs, il lui en faut toujours plus. Pour les ranger, les engranger. Des meubles, elle en a plein. Et des objets aussi. Qu'elle n'a même pas choisis. Des trucs qu'on lui a laissés. Avant, c'était juste des objets, puis un jour c'était devenu des souvenirs et son existence était comme scotchée à la leur et après juste continuer… Tu pourrais vivre sans rien, il dit, sans objet. Tu n'as besoin de rien, même pas des chiens. Il y a tant de certitude dans sa voix. Elle hésite. Non, pas sans les chiens. Tout quitter. Elle évalue l'idée. Même sans les chiens, elle pourrait. Parce que dans ta tête, tu as tout. Tu n'as plus besoin de rien, il dit, dans ta tête tu as tout.

Voix d'Anne Dejardin

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #Audio, #photographie

Le long du temps, à marcher à photographier, elle avait bien dû le connaître. Ce temps incompressible nécessaire au surgissement. Le long du temps, eux, ils l’avaient perdu. Ils étaient attablés dans la véranda verrue, premier prix, châssis alu, qu’il avait fait rajouter à la villa. Pendant qu’elle photographiait, elle avait bien dû penser, s’être dit peut-être qu’on avait tort de croire que le temps leur paraissait long, à eux assis dans des fauteuils d’osier qui occupaient presque toute la place, alors qu’il n’est pas long, mais compté pour eux deux emmaillotés dans de lourds peignoirs en éponge blancs, identiques, de ceux qu’on reçoit dans les hôtels spa et dans la doublure desquels ils cachent maintenant des puces, pour lutter contre l’envie de les emporter ni vu ni connu dans ses bagages. Derrière eux une aide-soignante en tablier bleu se penche pour verser le jus d’orange d’un geste précis qui souligne leur maladresse à porter à leur bouche. Pendant qu’il mâche, il regarde la mer. Parce que depuis là où on l’a assis, il peut encore l’apercevoir par delà le parking. Il a fait construire avec les moyens qu’il avait. C’était la mode du préfabriqué, un temps de construction réduit. Moins chère que ses voisines, moins belle aussi… Mais l’emplacement valait de l’or. Aujourd’hui plus encore. Pendant qu’il mâche, prudemment pour ne pas risquer la fausse route, il pense qu’il a eu raison de lui offrir cette semaine ici dans leur maison où ils ne pouvaient plus venir depuis longtemps, de ne pas regarder à la dépense, prendre une nurse, se faire conduire, même des bagages elle s’en était occupée, puisque c’est décidé il va mettre en vente. Le temps long à marcher, il le connaît aussi, depuis qu’il la cherche, qu’il refait le parcours qu’elle a dû faire pour prendre ces photos. Les clichés ne dévoilent des villas que les noms. Ils guident ses propres pas. Au fur et à mesure, ils retrouvent leur emplacement, aujourd’hui c’est Gré du vent. Il peut alors découvrir le hors cadre de la photo. Il peut l’imaginer elle, debout, plantée devant la façade à cadrer à ajuster la netteté de l’inscription. Alors il lui prête des pensées… Pendant qu’il marche sur ses traces, comme dans le sable mettre le pied dans l’empreinte laissée par celui d’avant, il lui prête ses pensées. Rien n’est réel. Le sable aux semelles rend tout vacillant. Il voit les quatre petits trous dans le revêtement de fausses pierres  aux coins de la fenêtre. C’est là qu’étaient accrochés des volets qui devaient claquer au gré du vent et qu’on a fait remplacer par des volets roulants. Le coffre extérieur, c’est le plus pratique et le moins onéreux aussi. Tout est hermétiquement clos, plus rien ne passera, pas le moindre souffle de vent, de vie non plus.

Voix de Pierre Menard, auteur : http://www.liminaire.fr

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie, #Vidéo

Cécile a tout pour écrire, l’histoire, les prénoms, le secret. Il n’y a plus qu’à remplir. Elle peut partir de sa tristesse, mais on devrait plutôt parler de dévastation. Quels mots avait employés le coach au juste ? Quelles questions lui avait-il posées ? Étranges, si on y repense. Étiez-vous heureuse avant ? Il parlait d’avant qu’elle le mette à la porte bien sûr. Sans hésitation elle avait répondu oui. Il était très gentil, très présent. Présent, c’est le mot qu’elle avait utilisé. S’était-il étonné en silence de sa réponse. Avait-il eu peur de soulever le lièvre ? Il avait bien dû y penser, se demander comment diable on pouvait être très présent dans de telles circonstances ? Votre façon de vivre ne regarde que vous, il a dit à la fin de l’entretien. Si vous étiez mieux avant, pourquoi vouloir changer les choses ? À cause du regard des autres ? À vous de définir votre propre way of life. Pourquoi avait-il prononcé ses mots en anglais ? Ils restaient à flotter comme panneau lumineux au fronton d’une enseigne. Ils lui faisaient le même effet. Dérangeants de trop de présence. Sur la façade aussi, les lettres pour nommer la villa où il l’avait installée voici six ans. Pour qu’elle puisse écrire au calme, loin de l’agitation parisienne. Et pour la naissance de l’enfant, l’air de la mer, ce serait bien. Avec le TGV, en une heure, il serait là. À peine plus long que ses trajets journaliers quand ils vivaient à Paris. Avec l’aéroport proche, pour les voyages si fréquents qu’il devait faire pour le boulot, ils ne verraient pas la différence. Elle avait toujours rêvé de vivre au bord de la mer. Elle avait accepté. Le petit était né. L’école était à cinq-cents mètres de la maison. Et le club de voile à deux pas. Lorsqu’il lui avait fait visiter la villa, une fois la voiture garée sur le bas-côté, là où tous les emplacements seraient pris d’assaut en juillet et août, mais on était au printemps, le soleil était présent et le quartier désert, elle retrouverait cette alternance entre une vie retirée d’écrivain et une agitation bénéfique à portée, c’est ce qu’il avait expliqué. Depuis le siège où elle était encore assise, le nom de la villa était bien visible, La passagère. Elle y avait vu quelque chose de romantique, une belle dont on s’empare pour l’enlever sur un beau cheval blanc. C’est étrange maintenant qu’elle y repense. Comment le côté éphémère du nom avait-il pu lui échapper à ce point, elle si attentive aux signes. On ne voit que ce qu’on veut voir décidément. Six ans qu’ils y vivent à l’année. Elle a tiré l’échelle depuis le garage jusqu’aux lettres malveillantes. Elle a déniché un marteau dans la caisse à outils au contenu sommaire, personne n’a le temps de bricoler dans cette baraque. Et ça sonne dans sa tête comme un reproche. Une sorte de burin ou de coin métallique, elle ne sait pas trop. Pense qu’il fera l’affaire. Depuis une heure, elle tape, elle effrite. Les lettres inscrites dans le crépi ancien de la façade s’accrochent avec une énergie qu’elle n’avait pas soupçonnée. La boucle du G est la plus rétive. Le burin et le coup de marteau dérapent et glissent dans le creux à côté. Elle tape de plus en plus fort. Lorsque tout est fini, l’échelle et les instruments rangés, elle se sent vidée. Elle n’a plus de colère en elle. Sa décision est prise. Elle va la rebaptiser. Le secret. Ce sera affiché, fiché dans le béton. Elle en fait son affaire. Elle peut lui dire maintenant. Qu’il peut revenir. Reprendre la vie d’avant. Avant que Cécile ne se rende compte que Laurent menait une double vie. Qu’il était marié à Juliette et qu’ils avaient deux enfants.  

 

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie, #Audio

Le rêve à écrire n’est pas de l’écriture. Pourtant elle vient de le faire. Elle pose son stylo. Elle aurait préféré rêver de Jersey. Trouver son histoire tout écrite dans sa tête au réveil et elle n’aurait plus eu qu’à la transcrire, comme ce qu’elle venait d’accomplir pour le rêve. Mais non. Rien que ce rêve dérangeant dont elle venait de se débarrasser en l’écrivant. Mais concernant l’Etacq, rien. Il fallait s’y attendre. Qu’une d’elles toutes se refuserait. La ferait galérer. Les lettres en fer forgé de L’Etacq n’amènent que des questions. Comment écrire Ernest Léonard, accusé de meurtre le 5 janvier 1895 et innocenté après trois longues années d’incarcération sur l’Isle de Jersey et qui choisit de rester vivre là où le meurtre a eu lieu, pendant encore au moins dix ans ? Malgré toute cette histoire, jamais élucidée. L’homme poignardé et laissé pour mort. Volatilisés, les trois hommes qui seraient repartis en calèche. Le motif du meurtre dont on l’avait de suite soupçonné aurait été la jalousie. Il avait été fiancé à une jeune fille, mais l’engagement avait été rompu à cause de l’opposition de la famille. Or l’homme qui avait été poignardé était un ami de la jeune fille. Ernest Leonard en aurait été jaloux… Trois ans plus tard, une fois libéré, il reste habiter là, à l’Etacq. Continue-t-il à espérer que la famille de sa belle changera d’avis ? Après tout le bruit qu’a fait cette histoire ? Son nom sali, le soupçon qui continue à lui coller aux basques. Parce que le doute continue à peser sur l’innocenté. Vu qu’aucune autre arrestation n’a eu lieu. Comment peut-il imaginer qu’on lui accordera sa main ? A-t-il attendu qu’on la marie à un autre pour perdre espoir et se décider à quitter la région ? A-t-elle tenu dix ans, refusant tous les hommes qu’on lui présente, jusqu’à ce révérend timide qui ne la regarde jamais dans les yeux, lorsqu’il doit lui adresser la parole ? Un fourbe qui se métamorphose une fois monté en chaire, qui de là-haut prend chacun à partie, et du regard qu’il enfonce tour à tour dans les orbites de chacun de ses paroissiens, semble vouloir sonder leur âme pour y déceler le moindre de leurs péchés. Alors oui, seulement lorsque le bruit arrive jusqu’à lui qu’Ada Mary accepte ce mariage, a-t-il décidé de retraverser la Manche pour rentrer chez lui, en France, ne s’éloignant pas trop de la côte au cas où elle aurait cherché à le rejoindre ou juste pour laisser son regard enjamber l’étendue grise pour parvenir à la ligne d’horizon. Chaque jour, il la suit des yeux. Par temps clair, elle est comme un chemin inondé de lumière, plat, sans détour, rassurant et merveilleux. Idéal pour qu’ils s’y promènent ensemble. Ada Mary à son bras, ils marchent lentement à droite vers Granville pour revenir sur leurs pas vers Cancale, comme ces couples légitimes se montrent sur la promenade des Anglais. Ils devisent comme ils savaient le faire autrefois, échangeant leurs pensées les plus intimes, se racontant tout en fait, jusqu’aux rêves de la nuit, qui sont si ennuyeux à entendre pour celui à qui on les raconte… C’était un farfelu, avait-on dit de lui, d’un autre bruit qui avait couru (quand de l’autre histoire on ne savait rien) qu’il aurait logé sa bonne dans la grande chambre du premier, pour occuper la sienne sous les combles. Personne ne savait qu’elle donnait sur la mer et la ligne d’horizon. La seule de toutes les fenêtres de la grosse villa de granit qu’il avait achetée à son arrivée en France et dont personne ne savait pourquoi il l’avait baptisée L’Etacq. Il s’était toujours moqué de ce qu’on pensait de lui. Il était vieux maintenant et il regrettait de ne pas lui avoir donné son prénom, Ada Mary. Mais l’afficher ainsi comme l’aveu d’un amour malheureux, il n’avait pas pu. Oui, il regrettait. Peut-être lui aurait-il facilité la tâche, si jamais elle avait voulu le retrouver.

Voix de la comédienne Karin Romer. Merci à elle d'avoir porté ce texte.

Mon intention :

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie, #Audio

J’ai coupé le réveil avant qu’il sonne. Je ne voulais pas la réveiller. Du coup quand c’est comme ça, je ne dors pas de la nuit. Je guette l’instant juste avant la sonnerie. Je l’entends respirer fort. On ne peut pas dire qu’elle ronfle. Je lui dis, non, tu ronfles pas, tu respires fort. Tu me réveilles, la prochaine fois, elle dit. Elle ne veut pas ronfler. Moi, ça ne me dérange pas. C’est comme si de son souffle elle rythmait le mien. Et ça me tient compagnie quand je ne dors pas. Je repousse le drap et je me lève sur la pointe des pieds, mais le parquet craque. Comme on n’y vit pas à l’année, je n’arrive pas à mémoriser quelles lattes font ce bruit. Je pose le pied délicatement, puis l’autre et à un moment le craquement déchire le silence. Elle va se réveiller, je me dis. Je n’aime pas quand elle descend avec moi les jours de pêche. Elle traîne dans la cuisine en faisant la gueule. Si elle est bien éveillée, elle recommence sa litanie du genre, on fait jamais rien ensemble. À croire qu’elle est jalouse de Ben. Ben, c’est l’Américain qui vit dans la grosse villa plus bas. Il vient d’acheter un bateau tout neuf. Il veut me le montrer. Il a vécu à Cap Cod. La pêche, il sait ce que c’est. Je ne sais plus comment on est devenus potes. Les Américains, c’est pas farouche, ça parle à tout le monde. Hi, Man, et c’est parti. Julie n’aime pas ses manières. Quand je commence à rassembler mes affaires pour le lendemain, elle dit, tu pars encore avec Gatsby. Je préfère ne pas répondre. Elle le sait, non ? Ça servirait à quoi ? À envenimer. Cette fois on dirait qu’elle ne s’est pas éveillée. Je descends à la cuisine. Ici on n’a pas de machine à café. Il faut remplir la cruche en verre, mettre un filtre en papier et puiser dans le pot avec la dosette en pointe. Il n’y a pas assez de lumière. Je ne distingue pas bien les graduations sur la machine. Je jure, c’est plus fort que moi. Si je dépasse, le café sera imbuvable. Le matin c’est la seule chose qui importe. Tout le reste m’est bien égal. Ma journée ne commence qu’après mon café. Julie le sait. Les bons jours, elle attend pour m’adresser la parole. Après je suis plutôt un garçon cool, amoureux, attentionné. Juste avant de refermer la porte d’entrée, j’entends Julie qui crie : « Surtout tu ne me ramènes pas de poisson, hein ? » Enfin si vous en prenez, elle ajoute, histoire de m’énerver. Elle le sait pourtant que les jours de pêche, elle ne peut pas m’énerver. Ben va encore insister pour que j’en emmène la moitié. Il dit si tu veux, je nettoie complet et je te donne. Pour moi, c’est vite. Parfois je me dis que ce serait plus simple d’en accepter quelques-uns, mais après j’en fais quoi ? Je rouvre la porte et je crie vers l’escalier, bonne journée, Chérie. J’ai vraiment envie qu’elle profite de sa journée. Un gars plutôt cool, c’est ainsi qu’elle me voit les autres jours. 

Voix de Laurent Peyronnet, écrivain, suivre ses lectures sur "Quelques chose à vous lire".

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie, #Audio

Ce que cela change de la voir de l’extérieur ou de passer devant vite, en vélo, en voiture, en courant. Qui aurait pu le croire ? Pas elle, si elle ne l’avait éprouvé. Un choc, la première fois.  Rentrant à la nuit tombée d’une balade sur la plage pour libérer un peu le chien et lui permettre d’affoler son cœur à courir à la limite de ses forces, parce qu’il était taillé pour cela, comme elle s’ouvrir grands les poumons il fallait, qui avaient besoin d’aspirer tout ce qui pouvait décapsuler l’étau du dedans, l’air froid, l’air vaste, l’air infini, l’air autour comme s’y baigner, s’en imbiber, avec tout ce que personnifie l’air de la mer depuis son enfance, ses bienfaits ressassés par chacun, son père dès son arrivée, sa grand-mère et son grand-père aussi, même sa mère s’y mettait pour alléger leur séparation, ça va te faire du bien, quand tout ce qu’elle aurait voulu, elle, c’est ne pas la laisser toute seule en juillet à Paris,  - l’iode qui rend intelligent et fait grandir, l’air de la mer qui donne de l’appétit, qui améliore le sommeil -. L’air de la mer allait peut-être en vérité constituer sa solution. Et pas seulement d’en avoir tant entendu prôner les bienfaits. L’air de la mer lui était devenu un baume miraculeux capable d’alléger le lourd du dedans qui n’en finissait pas d’intensifier sa prise. La première fois il venait d’y avoir l’air pour elle et courir pour le chien et elle était passée devant la maison d’un pas pressé. Il fallait bien rentrer maintenant. Son regard par-dessus le petit portillon du jardin. Et dans le froid de la nuit, la lumière orange de l’abat-jour du salon et juste à côté la lumière froide des spots lumineux du plafond de la cuisine d’un blanc laqué, ce /regarder chez elle/ avec le regard de celui qui passe, qui est à l’extérieur, le saisissement ressenti. L’envie traître qui l’avait captée à son insu, l’envie de vivre là où pénétrait son regard, l’envie de pousser la porte et de dire c’est chez moi. Et follement quelque chose s’était mis à danser au-dedans d’elle qu’elle ne comprenait pas. Depuis elle attendait que ça passe. Cette sensation d’être arrivée quelque part pour y rester. Chez elle.

 

Nathalie Holt, scénographe, autrice et photographe. https://www.instagram.com/holt.nathalie/

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie, #Audio

- Ils n’ont pas peur.

- De quoi ?

- D’assumer leur passivité. Annoncer d’entrée de jeu qu’on ne touchera pas au jardin, qu’on n’interviendra pas, qu’on n’essayera même pas. La végétation livrée à elle-même et c’est revendiqué.

- Ca te fait envie ? Je croyais que tu aimais travailler au jardin.

- Ce qui me fait envie, c’est leur culot. C’est comme s’ils avaient écrit : « Je me fous de ce que vous pensez. »

- C’est comme cela que tu le vois ?

- Une villa de ce prix, située là où elle est, tu imagines, et dans l’alignement de toutes les autres, choisir un nom qui dénote, sortir du lot depuis le nom plaqué sur le pilier du portail et laisser le jardin en friche.

- En friche ? Comme tu y vas ! Sur cette bande de front de mer, les jardins, ce n’est même pas de la terre, c’est du sable, rien ne pousse. À part deux malheureux tamaris et une haie qui en prend à son aise et qui cache la maison sur l’arrière.

- Les lettres sont grandes, bien visibles, tous ceux qui passent peuvent le lire. Ici, c’est la jungle. C’est limite menaçant. Comme revendiquer une sauvagerie prédatrice. Vous pénétrez à vos risques et périls.

- Je pense plutôt à Tarzan et Jane se courant après dans la grande demeure de pierres. C’était le fantasme de lui ou d’elle, tu crois ? Ou alors tout simplement, il en a eu marre qu’elle lui dise de s’occuper du jardin et il a fait façonner ces lettres.

- Tu dis n’importe quoi. La maison date de 1900 et l’inscription aussi. Ils devaient avoir un jardinier à l’époque. La Jungle, c’est leur rêve de vivre cachés. Va savoir. On ne saura jamais.

- Tu crois qu’en mairie on trouverait le nom du tout premier propriétaire ?

- Tu en ferais quoi ? Tu as de ces idées parfois... Tiens, regarde le nom de la suivante.

 

Ecouter plutôt que lire...

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

Cette passion, d’où ça lui venait ? Pour qu’il en fasse un métier. Sa mère avait le vertige sur un tabouret. Son père, lui, c’était l’eau son élément. Toujours loin devant ou sous la vague. Être là et plus là, cela aurait pu définir le bonhomme. Avant qu’il achète le voilier et là il avait véritablement disparu. Alors non, pas de ses parents qu’il tenait son goût pour ça. Pas plus qu’il n’en avait reçu un pour son anniversaire. Il n’avait pas été initié par son père à le tenir à bout de bras lorsque la mer s’était retirée, sans emporter le vent. Et les fils s’emmêlant et le nez de l’oiseau se plantant d’un coup sec dans le sable dur, le bruit que ça faisait qui devait aller avec la peur que la chute l’ait endommagé, définitivement, et il fallait que le père démêle et tende à nouveau les bras au ciel pour qu’il remonte et vole. Il observait plutôt les autres, ceux qui en avaient reçu. Mais lui, non, il n’en avait jamais eu. Le journaliste venu l’interroger n’avait qu’à passer à une autre question. Le but était surtout de présenter l’expo, tout son travail actuel de photographe, des photos de parachutistes en plein ciel. C’est seulement plus tard en voyant cette photo qu’il avait compris. Ce qu’il voyait de sa chambre d’enfant chez ses grands parents, la villa en face avec son nom et c’était la seule vue qu’il avait. Et l’arrondi du haut de la fenêtre, un demi-cercle parfait, comme illustration du nom : Cerf-volant, à s’imprimer dans sa mémoire. C’était forme de parachute. Est-ce de là que ça lui était venu : prendre des cours de sauts et ensuite tout son travail photographique, photographier les parachutistes ? Est-ce qu’il aurait pu raconter cela au journaliste ? Est-ce que cela lui aurait suffi pour présenter l’expo ? Il aurait même pu lui proposer de lui montrer la photo… Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Allez savoir.

 

écouter plutôt que lire

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

Dans une famille il y en a toujours une. Les parents prétendent que non, ils aiment tous leurs enfants pareil, ils le clament haut et fort. Alors pourquoi tant d’enfants à sentir qu’on leur préfère celui avant ou celui après. C’est aux enterrements que ça pète. Chez le notaire ou lorsqu’on vide la maison. Ceux qui ne veulent rien, ceux qui veulent tout. On commence par compter les nouilles dans l’assiette du voisin, disait la mère, quand un de ses enfants rouspétait, trouvait qu’elle lui avait servi une part plus petite qu’à son frère, et ça finit par des coups de feu aux enterrements. Ou chez le notaire, je ne sais plus. Je n’ai pas à me plaindre. Et peut-être est-ce pour cette raison que j’étais la préférée, parce que je ne me plaignais jamais. Mes parents me prenaient à part pour s’assurer que moi je ne demanderais pas un cadeau aussi cher que ma sœur. J’étais promue. Ils m’incluaient dans leur couple d’adultes. Faut les comprendre, c’était la fin de la guerre. Alors j’acquiesçais. J’ai eu tout en moins et jusqu’au bout, mais au final c’était du plus. Favorite ou préférée, c’est synonyme. C’est ce que mon père me disait, et même à voix haute l’affirmer devant mes frères et sœurs à la table de la salle à manger. On a un secret, Lily et moi, il disait. Le malaise et la joie et toujours les deux sentiments mêlés au fond de moi, la joie profonde et le malaise aussi. À peine descendue de la voiture de l’agent immobilier, la première chose que j’ai vue, c’est son nom, les lettres posées en arc de cercle et si lisibles, si éclatant. Je n’ai même pas eu besoin d’y entrer, j’ai su de suite que j’allais l’acheter. Elle aurait ce pouvoir de contrer le fracas du secret. Tant d’années après. Eux se sont juste étonnés, ont pris cela pour de la frivolité, te décider en vingt minutes, tu ne nous as pas habitués à ça, tant de désinvolture chez notre Lily, ils ont dit, ça ne te ressemble pas. J’ai gardé le silence. À quoi bon. Tout est affiché désormais. À peine besoin de lever les yeux.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

La villa est plus ancienne que la plaque et comment j’avais senti qu’il y avait là quelque chose qui méritait d’être creusé. Qui avait choisi le nom ? Qui l’avait accrochée ? En quelle année ? Je n’avais reçu que des réponses évasives. Tout un été j’avais parlé de la villa comme d’une figure humaine qui aurait eu un prénom. Ostensiblement et d’une voix forte,  malgré les remontrances que ce manque de discrétion m’attirait lorsque nous étions tous sur la plage, je disais je rentre chercher mon livre à La belle étoile, La belle étoile va me manquer en septembre, je crois que La belle étoile s’ennuie de nous en hiver, on pourrait visiter La belle étoile à Noël, le vent et le froid, elle n’aime pas ça, La belle étoile, et je guettais le visage de ma tante. J’avais remarqué que c’était elle la plus gênée sans que je puisse mener plus avant mon enquête. Puis j’avais grandi et je n’y avais plus pensé. Il avait fallu la mort de son mari pour qu’elle s’oublie, le choc émotionnel la première fois qu’elle y revenait après son décès, les yeux qu’elle avait levés vers la plaque en céramique aux bords bleus que le temps n’avait pu altérer. Comme j’avais été fâchée, avait-elle dit, de ce qu’il croyait être une belle surprise, ce nom affiché au fronton sans m’en parler ! À cause de ce que nous avions fait sur la plage une nuit que nous avions échappé à la surveillance de nos parents... Ça ne se faisait pas à l’époque, tu sais. Ce n’était pas comme maintenant. Lui avait juste dit en souvenir et levé le bras vers l’inscription toute neuve et il avait cligné des deux yeux, tu te souviens, c’était sa façon à lui, il fermait les deux yeux, pas un seul. Puis elle avait pleuré et j’avais dû la prendre dans mes bras. Toutes les autres questions qui me viendraient à ce propos resteraient sans réponse. Les grains de sable qui frottent la peau comme papier émeri, c’était toujours à ça que je pensais en premier. À la peau de ma tante, qui rougissait si vite, quand elle était encore jeune. Et si c’était juste en bas pratiquement sous les fenêtres de La belle étoile ?

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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