Un jour j’achète ce petit livre, déçue un peu : je veux lire cet écrivain et le libraire n’a en magasin que ce livre de poésies. Vingt euros. C’est cher, dit le libraire. Sous-entendu, pour ce que c’est… J’acquiesce, mais je l’emmène. L’ouvre pour voir ce qu’il a dans le ventre au-delà de son titre « L’herbier des rayons » et de son auteur qui anime les rencontres littéraires de Carolles.
J’hésite à parler en premier de l’auteur ou de ce que contient ce petit livre entre mes mains, fort plaisant au toucher, sobre, discret mais à mieux y regarder, tout ce qui est tracé sur la couverture et sur sa quatrième est recherché, rien n’y a été posé au hasard. Même le nom des éditions, Caractères, donne de l’étoffe et on ne l’a pas encore ouvert… Vert, la couleur des versos de la couverture, vert du malheur et du mauvais sort ailleurs, ici vert pour l’écrin d’un herbier, quoi de plus naturel en somme ?
Les deux premières pages écrites par l’auteur expliquent la conception de cette œuvre, le parti pris du poète et les circonstances de l’écriture. Elles pourraient presque suffire. Elles sont essentielles. Ce qu’elles me furent, fondamentales aussi, comme on prend par la main, main glissée dans celle de l’enfant terrorisé dans la cour d’école. En face de chaque poème, l’auteur a placé une photo d’une pousse dénichée lors de ses déambulations de hasard tout autour de l’hôpital où il subit régulièrement une radiothérapie et qu’il a fait sécher en rentrant chez lui à la façon des herbiers de son enfance.
Des pousses de rien du tout, autant de mauvaises herbes pour moi, qu’il faudrait arracher, mais des pousses insoumises qui ont cette particularité de repousser, chacune à leur niveau, le bitume et le bulldozer. Des pousses qui ont perdu la troisième dimension d’avoir été réduites, écrasées par deux buvards, enfermées sous le poids des dictionnaires, puis ressorties de l’enfer pour subir la lumière de la résurrection par le photographe et les voilà éternellement vivantes et touchantes de platitude. Leurs racines filandreuses semblent encore bouger, filaments d’étoile, frémissant comme des cheveux d’ange. Et pour vingt euros, j’ai le droit de les emmener chez moi…
Je lis, je relis, j’observe les plantes et leurs racines, mon œil larmoie à tenter de les mémoriser jusqu’à ce que ma plume recrache chacun de leurs méandres scannés par mon cerveau dans une exactitude parfaite… Je lis et je copie. Je lis encore. Je prélève, j’écris à partir de ma pêche miraculeuse. Frauduleuse.
Sans enfant à attendre. Tendre les bras. Sans embrasser. Bras baissés. Baisser les bras. Embrasser le vide. Brassées de vide. Ventre en creux. Creuser le fouillis sauvage. Trouver l’étoile tombée. D’un baiser la relever. Lever les bras. Plus haut. Bras hauts. Bravo. L’envoler jusqu’au ciel. Tir d’étoile réussi. Ressuscitée d’entre les morts. Jour de Pâques pour l’astre. Qui brille au firmament. Maman…
Seule à me souvenir. Venir quelqu’un ? Non, personne ne vient. Souverain l’insecte dans sa lenteur. Sans enfant à attendre. Tendre l’arc. L’archet de la métaphore. Retour de bâton. Impact : cible touchée. Aucun lien ne se fait. A cause de l’absence d’enfant. Les mots ne s’enchaînent pas, comme un sort qui s’acharne. Il faut au début la lenteur de l’insecte, quand le maître positionne sa flèche et qu’ensuite il tend la corde. Temps de latence obligé. Rien à attendre. Enfant ou cible.
Pour que les mots s’enchaînent et se répondent il faut la cible, accepter qu’il n’y aura pas d’enfant, chérir le souvenir comme une étoile tombée dans le fouillis sauvage.
Souvenir sous-verre souverain. Briser la vitre, éclater quelque chose, écrire dans les brisures, accepter parfois de saigner, un peu, goutte pourpre au cœur de la fleur, qui déborde, sort de son lit, suit sa propre logique qui n’est pas celle de l’encre, la suivre dans la solitude infernale du souvenir, personne n’y vient, n’y convier personne, le partage dénature irrémédiablement, ça ne s’est pas passé comme ça, figer comme on emprisonne dans les mots, alignés côte à côte comme des barreaux, lors d’une première garde à vue, vus, on peut tourner la page. Le procès n’aura pas lieu. Déni du méfait commis. Surtout écrire sans laisser de témoins !