Il faudrait écrire l’expérience vécue hier. L’écrire pour en garder une trace, une trace sur laquelle l’inconscient ne pourrait pas venir déposer son empreinte, souiller la scène initiale, brouiller les pistes. L’écriture de ce moment équivaut à une mise sous scellés de ce qui a eu lieu.
Fany qui parle de mon livre, qui lit avec délectation des extraits, qui, comme moi et contrairement à tant d’autres lectrices, y a vu un livre drôle. Enfin… Fany qui malgré sa jeunesse s’est emparée de ce livre, qui en a trouvé l’écriture belle parce que, dit-elle, c’est cette écriture particulière qui rend cette histoire universelle à chaque moment. Fany qui conclura en disant à quel point d’autres livres, nombreux, publiés dans de grandes maisons d’édition, n’ont pas sa qualité et qui dit ces mots-ci que je dois écrire bleu sur blanc pour les lire quand tout dans ma tête hurlera qu’il serait plus sage de reboucher définitivement mon stylo plume, Fany qui dit à ces personnes assises devant nous au Winnibel pour la rencontre, venues parce que c’est Fany et qu’ils lui font confiance, elle dit en les regardant bien en face que c’est un livre qui mérite d’être lu, acheté, offert, parce que c’est un grand livre.
Je n’écris pas pour que l’on me dise cela. J’écris parce que c’est l’acte que j’accomplis dans ma vie et qui a un sens fondamental comme respirer en conscience ou aimer mon homme. J’écris parce qu’il ne m’est plus possible d’arrêter.
Je n’écris pas pour entendre les mots de Fany, ces mots-là, même si ce sont des mots qui écartent pour un temps de ma route les doutes harceleurs et soulagent un peu de l’épuisement que j’éprouve à les extraire d’on ne sait où pour les tendre à je ne sais trop qui, même s’ils furent la machette qui ouvre la piste de l’explorateur dans l’obscurité de la jungle, même s’ils furent les drapeaux brandis sur le passage du cycliste relégué à la fin du peloton, même s’ils sont plus autorisés du fait de celle qui les dit, toute en délicatesse, qui connaît et habite son métier de libraire, avec un sourire capable d’illuminer même les rares jours de grisaille de Granville, certes moins nombreux qu’ailleurs dans cette rue particulière qu’est la rue des Juifs ; ces mots, je me dois de les coucher là, dans ce carnet noir, bleu sur blanc comme les cabines de plage, ancrés solidement côte à côte comme de vaillants petits soldats, quel que soit la force du vent, ils seront là pour le jour où j’aurai besoin de me remettre en selle.