A deux.
L’arbre – son nom – sa famille – son espèce et alors tous mêmes feuilles rondes avec ce double renflement du pourtour en face à face et chacune partant de la tige avec sa sœur en parfaite symétrie – eucalyptus – son essence – son huile essentielle et les guérisons possibles – repas préféré des chèvres – sa place - ce que l’autre lui a laissé pour déployer ses branches – son tronc principal à 60° à défier les lois de l’équilibre et pousser quand même avec une autre branche principale qui résolument prendra force et puissance pour faire contrepoids, contrebalancer ce qui ne pouvait espérer grandir que tordu, mal foutu, d’une place que l’autre ne lui laissait pas et par deux fois basculer et s’écraser contre le sol et relevé de la main de l’homme et pour ses racines enfouies c’est pareil, s’insinuer en terrain occupé. Le peu de terre par-dessus la roche de granit qui court tout le long sur cette partie du village phagocyté par celles de l’arbre voisin et les repousser on n’y parvient pas, obligé de pactiser un temps pour se frayer un chemin au travers de ce qu’on a pu ouvrir comme pousser les murs, parce qu’ouvrir une entaille dans la pierre on n’y était jamais parvenu. Alors il faut longer la paroi granuleuse du granit animé par l’espoir que le plus loin sera moins hostile et c’est épuisement par le bas et aussi par le haut, à tenir contre le vent d’ouest, tandis que le voisin au sud ne protège de rien, le dévie et le nie, lui refuse existence. S’il semble mieux loti, lui à côté, ses feuilles et son écorce sont là pour démentir. D’une forme plus ordinaire ses feuilles d’une couleur plus banale sans la moindre nuance de bleu sont tachées de petits boutons de bien mauvais augure. Son écorce se détache en lambeaux qui n’en finissent pas de se recroqueviller dans ce qui survit de pelouse, grillée chaque été, envahie de mousse l’hiver, de trop d’ombre et de pluies trop fréquentes. Parfois un vent du nord pousse le tordu vers le majestueux, ses branches bruissant de chuchotements enjôleurs viennent effleurer l’autre comme demande de pacification et un temps on pourrait y croire comme s’ils se donnaient la main, mais ce n’est qu’illusion. Bientôt tombe le vent du Nord et tout reprend sa place comme on rentre dans l’ordre des choses. Il y a celui qui est venu en premier et le second planté trop près qui n’a reçu de lumière et de terre que ce qui restait. Qu’est-ce qui s’écrit, lorsque ça s’écrit à propos d’un arbre au choix, l’histoire qui se raconte en souterrain ?
Texte écrit à l’atelier permanent – Tiers Livre, explorations écriture (François Bon)