Je n’y reviens jamais. Enfin juste ce qu’il faut. Quinze jours par an grand max. Histoire de payer le jardinier. Il s’appelle Marcel, il a bien connu mon grand-père. Une autre époque. Avec lui je suis tranquille, même si à son âge, il ne peut plus qu’un petit coup de sécateur par ci un petit coup par là. Il est d’ici et il connaît tout le monde. Surtout ceux qui peuvent aider. L’antenne qui se détache et tape contre la façade, l’eucalyptus qui s’est couché… Avec les tempêtes il y a toujours quelque chose à réparer et je ne parle pas du toit. Le couvreur est de sa famille, je reçois des notes de 80 € chaque année pour quelques tuiles cassées. C’est pratique. Tant qu’il est là, je n’ai pas besoin de revenir plus souvent. Ou de prendre une décision. Le reste de l’année, la Michoudière reste fermée et c’est mieux ainsi. Quel nom débile vraiment et combien de fois la question c’était le prénom de ton grand-père ? Comme si on avait une tête à s’appeler Michou dans la famille des Paul-Etienne et Pierre-Laurent et des Jean-Noël ? Il n’a jamais voulu changer le nom. On ne débaptise pas ce qui l’a été. Comme si ça risquait de nous porter la poisse. Ce que ma grand-mère a pu insister. Et lui qui faisait exprès de dire la Michoudière en insistant sur le OU. On partira à la Michoudière dès le mois de juin. Viendrez-vous à la Michoudière en août ou au 14 juillet ? Une année, ma grand-mère a planté un rosier grimpant juste au pied de l’inscription. Elle devait penser qu’avec les années il aurait raison du nom. Comme elle avait gratté la terre, les épines allaient griffer les lettres de béton en surimpression. Le rosier a crevé. Le nom est resté. Bien visible depuis la rue. Qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir dans la tête, mon grand-père ? S’était-il rêvé un jour en un Michou au grand cœur qui tenait maison ouverte pour tous, passez quand nous voulez, reste dîner avec nous, quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq, … Avec chanter en chœur à la fin de la soirée puisque toujours Pierrot amenait sa guitare. Lui qui ne savait pas se faire cuire un œuf et ma grand-mère qui détestait cuisiner. Peut-être que je focalise sur le nom à cause de l’angoisse que la villa provoque chez moi. L’idée toujours latente qu’il me faudra bien la vendre un jour et toujours je repousse. Ce serait le trahir une deuxième fois. La première, c’est une autre histoire. La voiture est chargée et j’ai bien tout fermé. J’ai la clé ici. C’est bon, on peut y aller.
Mon intention :
Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.