Tout est GRIS aujourd’hui GRIS le sable GRIS la mer GRIS le ciel GRIS le sol de la promenade GRIS la peau du pied sur le cliché. C’est la photo un. Pas un chat. Non, pas à cause de l’heure matinale ou de l’été achevé. À cause de lui, le GRIS. Ici on le boude. On veut pour chaque jour des clichés vifs brillants, du jaune, du bleu, du rose, que ça pète, que le sable scintille. Terne ici, le GRIS, de n’être pas apprécié à sa juste valeur. Comme lui peut-être. À peine s’il tranche sur le sable. Chez lui tout est noir. Qui le sait ça, que le corbeau est très intelligent ? Sans cadrer, à l’aveugle, je le prends en photo. C’est la deux ! Il s’envole. Mon bras levé suit son mouvement. Le doigt de la main gauche clique. J’ignore s’il est sur la photo numéro trois. Il a quelque chose dans le bec. Je ne distingue pas ce que c’est, mais ça tombe. Sur le sable. L’oiseau fait une sorte de surplace assez disgracieux au-dessus. Il est face au vent, le dos courbé, la tête et le bec pointés vers le bas. Il scrute. Il descend dans un piqué lent et assez moche, qui est efficace. Je tends le téléphone, je clique au hasard, photo numéro quatre. Sans se poser, il reprend dans son bec ce qui lui a échappé, déploie plus large les ailles et remonte. C’est la photo cinq. Il y aura le sable, la mer et le ciel, parce qu’il n’est pas encore en plein ciel, juste au décollage. Si j’ai eu de la chance. Face au vent qui est assez fort ce matin, il bat des ailes. Peu de temps. Sa prise tombe à nouveau. Il faudrait la photo en gros plan de l’objet sur le sable ou mieux encore en chute libre. Ce serait l’idéal. Qu’on sache au moins de quoi il s’agit. Pourquoi si c’est comestible, il ne l’avale pas. Tout un film déjà en tournage dans la tête. Mais on n’en est pas là, juste ici à cliquer. Et on ne s’approchera pas. La photo six manquera. Les suivantes, on les a déjà dans Galerie. Le corbeau qui repère sa proie, la reprend dans son bec, vole face au vent et la lâche. Un déroulé répété dans une régularité désespérante à contempler. L’objet tombe ! Il me vient l’idée bête de comment l’aider…
Est-ce métaphore de l’écriture ? De toute activité artistique ? Ce texte qui n’existait pas. Rien ne venait à l’esprit. Puis une vague idée a germé, de ce que j’avais regardé deux jours plus tôt, ce spectacle aussi inouï qu’inattendu, l’obsession du corbeau, sa volonté… face à ce que chacun des présents face à la mer ce matin-là pouvait constater à quel point il y avait peu de chance qu’il aboutisse à quelque chose, le manège en boucle du corbeau, mais ça n’entamait en rien la velléité de continuer et sans doute étais-je plus affectée des efforts déployés par l’oiseau que lui-même pris dans son ambitieux projet. Rien encore du texte n’apparaissait. Il avait fallu y croire fort, juste ça, y croire fort et accepter l’effort. Perdre de vue l’aboutissement.