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annetadame

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Ce blog est né de l'envie de partager mes états d'âme durant la promotion de mes deux derniers livres publiés, l'autodérision comme une arme... Aujourd'hui il est une porte entrouverte sur mon laboratoire d'écriture avec des textes issus directement de mon carnet du moment et qui trouveront place dans un livre en cours ou pas. Merci de votre passage.

litterature

Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

Dans une famille il y en a toujours une. Les parents prétendent que non, ils aiment tous leurs enfants pareil, ils le clament haut et fort. Alors pourquoi tant d’enfants à sentir qu’on leur préfère celui avant ou celui après. C’est aux enterrements que ça pète. Chez le notaire ou lorsqu’on vide la maison. Ceux qui ne veulent rien, ceux qui veulent tout. On commence par compter les nouilles dans l’assiette du voisin, disait la mère, quand un de ses enfants rouspétait, trouvait qu’elle lui avait servi une part plus petite qu’à son frère, et ça finit par des coups de feu aux enterrements. Ou chez le notaire, je ne sais plus. Je n’ai pas à me plaindre. Et peut-être est-ce pour cette raison que j’étais la préférée, parce que je ne me plaignais jamais. Mes parents me prenaient à part pour s’assurer que moi je ne demanderais pas un cadeau aussi cher que ma sœur. J’étais promue. Ils m’incluaient dans leur couple d’adultes. Faut les comprendre, c’était la fin de la guerre. Alors j’acquiesçais. J’ai eu tout en moins et jusqu’au bout, mais au final c’était du plus. Favorite ou préférée, c’est synonyme. C’est ce que mon père me disait, et même à voix haute l’affirmer devant mes frères et sœurs à la table de la salle à manger. On a un secret, Lily et moi, il disait. Le malaise et la joie et toujours les deux sentiments mêlés au fond de moi, la joie profonde et le malaise aussi. À peine descendue de la voiture de l’agent immobilier, la première chose que j’ai vue, c’est son nom, les lettres posées en arc de cercle et si lisibles, si éclatant. Je n’ai même pas eu besoin d’y entrer, j’ai su de suite que j’allais l’acheter. Elle aurait ce pouvoir de contrer le fracas du secret. Tant d’années après. Eux se sont juste étonnés, ont pris cela pour de la frivolité, te décider en vingt minutes, tu ne nous as pas habitués à ça, tant de désinvolture chez notre Lily, ils ont dit, ça ne te ressemble pas. J’ai gardé le silence. À quoi bon. Tout est affiché désormais. À peine besoin de lever les yeux.

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

La villa est plus ancienne que la plaque et comment j’avais senti qu’il y avait là quelque chose qui méritait d’être creusé. Qui avait choisi le nom ? Qui l’avait accrochée ? En quelle année ? Je n’avais reçu que des réponses évasives. Tout un été j’avais parlé de la villa comme d’une figure humaine qui aurait eu un prénom. Ostensiblement et d’une voix forte,  malgré les remontrances que ce manque de discrétion m’attirait lorsque nous étions tous sur la plage, je disais je rentre chercher mon livre à La belle étoile, La belle étoile va me manquer en septembre, je crois que La belle étoile s’ennuie de nous en hiver, on pourrait visiter La belle étoile à Noël, le vent et le froid, elle n’aime pas ça, La belle étoile, et je guettais le visage de ma tante. J’avais remarqué que c’était elle la plus gênée sans que je puisse mener plus avant mon enquête. Puis j’avais grandi et je n’y avais plus pensé. Il avait fallu la mort de son mari pour qu’elle s’oublie, le choc émotionnel la première fois qu’elle y revenait après son décès, les yeux qu’elle avait levés vers la plaque en céramique aux bords bleus que le temps n’avait pu altérer. Comme j’avais été fâchée, avait-elle dit, de ce qu’il croyait être une belle surprise, ce nom affiché au fronton sans m’en parler ! À cause de ce que nous avions fait sur la plage une nuit que nous avions échappé à la surveillance de nos parents... Ça ne se faisait pas à l’époque, tu sais. Ce n’était pas comme maintenant. Lui avait juste dit en souvenir et levé le bras vers l’inscription toute neuve et il avait cligné des deux yeux, tu te souviens, c’était sa façon à lui, il fermait les deux yeux, pas un seul. Puis elle avait pleuré et j’avais dû la prendre dans mes bras. Toutes les autres questions qui me viendraient à ce propos resteraient sans réponse. Les grains de sable qui frottent la peau comme papier émeri, c’était toujours à ça que je pensais en premier. À la peau de ma tante, qui rougissait si vite, quand elle était encore jeune. Et si c’était juste en bas pratiquement sous les fenêtres de La belle étoile ?

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

LOU KA Ma, ça ne voulait rien dire ! Elle avait cherché sur Internet. Peut-être était-ce du breton. Ou alors du patois normand. Elle n’avait rien trouvé. Sans doute n’était-ce que la première syllabe de trois prénoms. Louise, Katrine, Mathilde. Le K étonnait, surtout en 1900. Quand était née Katrine Hepburn après tout ? Le temps passait si vite. Et cent vingt ans plus tard, Louise, Katrine et Mathilde  mortes ou encore vivantes, mais obligées de vendre la maison familiale, les trois sœurs restées un temps dans l’indivision après la mort de la mère, mais tant que la sœur célibataire y vivait, les autres n’avaient pas réclamé leur part d’héritage, du moins pas celle de la maison, après tout ce que Louise avait fait pour leur mère, les dernières années n’avaient pas dû être drôles, mais ne se plaignant jamais, et la culpabilité que Katrine en avait ressentie, baptisée Catherine, mais lorsque le père avait voulu faire coller au fronton la tuile gravée, LOU CA MA, elle l’avait arrachée de ses grandes mains et jetée par terre. Le carrelage en portait encore l’éclat. Elle avait crié et pleuré, elle n’était plus une petite fille, elle exigeait qu’on écrive son prénom avec un K ! Une pareille détestation de son prénom, allez savoir d’où ça lui venait. Ou alors déjà ses rêves de grandeur, sortir du lot, se faire remarquer. Catherine comme dans la chanson stupide, disait-elle, et d’une voix qu’elle éraillait sciemment elle avait hurlé plus que chanter « Catherine était chrétienne, lac zim boum boum tralala pouette pouette, Catherine était chrétienne, son père, son père, son père ne l’était pas… » avec des mimiques hideuses qui tordaient son joli visage, avant de passer à l’argument de la Sainte Catherine, coiffer Sainte Catherine, accusant ses parents de la vouer au célibat, comment de ce C de Catherine ils la clouaient au pilori, ce C bien visible de la rue par tous ceux qui passaient avenue Vauban. Mais Catherine savait y faire. Toujours le père levait les yeux au ciel, mais ne disait rien. La mère comme à son habitude préférait désamorcer. Elle parlait d’autre chose, réclamait de l’aide en cuisine ou ailleurs. Mais elle avait eu gain de cause, Catherine, et le K figurait toujours au début de la seconde ligne sur la tuile remplacée, légèrement enfoncée dans le crépi qui avait été d’un doux rose. Et celle qui était restée célibataire, ce n’avait pas été elle, en définitive, mais Louise. 

 

Mon intention :

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie

Je n’y reviens jamais. Enfin juste ce qu’il faut. Quinze jours par an grand max. Histoire de payer le jardinier. Il s’appelle Marcel, il a bien connu mon grand-père. Une autre époque. Avec lui je suis tranquille, même si à son âge, il ne peut plus qu’un petit coup de sécateur par ci un petit coup par là. Il est d’ici et il connaît tout le monde. Surtout ceux qui peuvent aider. L’antenne qui se détache et tape contre la façade, l’eucalyptus qui s’est couché… Avec les tempêtes il y a toujours quelque chose à réparer et je ne parle pas du toit. Le couvreur est de sa famille, je reçois des notes de 80 € chaque année pour quelques tuiles cassées. C’est pratique. Tant qu’il est là, je n’ai pas besoin de revenir plus souvent. Ou de prendre une décision. Le reste de l’année, la Michoudière reste fermée et c’est mieux ainsi. Quel nom débile vraiment et combien de fois la question c’était le prénom de ton grand-père ? Comme si on avait une tête à s’appeler Michou dans la famille des Paul-Etienne et Pierre-Laurent et des Jean-Noël ? Il n’a jamais voulu changer le nom. On ne débaptise pas ce qui l’a été. Comme si ça risquait de nous porter la poisse. Ce que ma grand-mère a pu insister. Et lui qui faisait exprès de dire la Michoudière en insistant sur le OU. On partira à la Michoudière dès le mois de juin. Viendrez-vous à la Michoudière en août ou au 14 juillet ? Une année, ma grand-mère a planté un rosier grimpant juste au pied de l’inscription. Elle devait penser qu’avec les années il aurait raison du nom. Comme elle avait gratté la terre, les épines allaient griffer les lettres de béton en surimpression. Le rosier a crevé. Le nom est resté. Bien visible depuis la rue. Qu’est-ce qu’il pouvait bien avoir dans la tête, mon grand-père ? S’était-il rêvé un jour en un Michou au grand cœur qui tenait maison ouverte pour tous, passez quand nous voulez, reste dîner avec nous, quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq, … Avec chanter en chœur à la fin de la soirée puisque toujours Pierrot amenait sa guitare. Lui qui ne savait pas se faire cuire un œuf et ma grand-mère qui détestait cuisiner. Peut-être que je focalise sur le nom à cause de l’angoisse que la villa provoque chez moi. L’idée toujours latente qu’il me faudra bien la vendre un jour et toujours je repousse. Ce serait le trahir une deuxième fois. La première, c’est une autre histoire. La voiture est chargée et j’ai bien tout fermé. J’ai la clé ici. C’est bon, on peut y aller.

 

Mon intention :

Pour continuer mon travail Le nom qu’on leur a donné… Résidences secondaires d’une station balnéaire de la Manche. Une photo par jour, c’était sur ma page La vie en face ne vous déplaise | Facebook. J’avais volontairement laissé hors champ la villa. Parce que, avais-je écrit, « à regarder seulement la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait ». C'est donc ce que je fais ici : pour chaque nom un bout de leur histoire dévoilé.

 

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #Journal

Tout est GRIS aujourd’hui GRIS le sable GRIS la mer GRIS  le ciel GRIS le sol de la promenade GRIS la peau du pied sur le cliché. C’est la photo un. Pas un chat. Non, pas à cause de l’heure matinale ou de l’été achevé. À cause de lui, le GRIS. Ici on le boude. On veut pour chaque jour des clichés vifs brillants, du jaune, du bleu, du rose, que ça pète, que le sable scintille. Terne ici, le GRIS, de n’être pas apprécié à sa juste valeur. Comme lui peut-être. À peine s’il tranche sur le sable. Chez lui tout est noir. Qui le sait ça, que le corbeau est très intelligent ? Sans cadrer, à l’aveugle, je le prends en photo. C’est la deux ! Il s’envole. Mon bras levé suit son mouvement. Le doigt de la main gauche clique. J’ignore s’il est sur la photo numéro trois. Il a quelque chose dans le bec. Je ne distingue pas ce que c’est, mais ça tombe. Sur le sable. L’oiseau fait une sorte de surplace assez disgracieux au-dessus. Il est face au vent, le dos courbé, la tête et le bec pointés vers le bas. Il scrute. Il descend dans un piqué lent et assez moche, qui est efficace. Je tends le téléphone, je clique au hasard, photo numéro quatre. Sans se poser, il reprend dans son bec ce qui lui a échappé, déploie plus large les ailles  et remonte. C’est la photo cinq. Il y aura le sable, la mer et le ciel, parce qu’il n’est pas encore en plein ciel, juste au décollage. Si j’ai eu de la chance. Face au vent qui est assez fort ce matin, il bat des ailes.  Peu de temps. Sa prise tombe à nouveau. Il faudrait la photo en gros plan de l’objet sur le sable ou mieux encore en chute libre. Ce serait l’idéal. Qu’on sache au moins de quoi il s’agit. Pourquoi si c’est comestible, il ne l’avale pas. Tout un film déjà en tournage dans la tête. Mais on n’en est pas là, juste ici à cliquer. Et on ne s’approchera pas. La photo six manquera. Les suivantes, on les a déjà dans Galerie. Le corbeau qui repère sa proie, la reprend dans son bec, vole face au vent et la lâche. Un  déroulé répété dans une régularité désespérante à contempler. L’objet tombe ! Il me vient l’idée bête de comment l’aider…

 

Est-ce métaphore de l’écriture ? De toute activité artistique ? Ce texte qui n’existait pas. Rien ne venait à l’esprit. Puis une vague idée a germé, de ce que j’avais regardé deux jours plus tôt, ce spectacle aussi inouï qu’inattendu, l’obsession du corbeau, sa volonté… face à ce que chacun des présents face à la mer ce matin-là pouvait constater à quel point il y avait peu de chance qu’il aboutisse à quelque chose, le manège en boucle du corbeau, mais ça n’entamait en rien la velléité de continuer et sans doute étais-je plus affectée des efforts déployés par l’oiseau que lui-même pris dans son ambitieux projet. Rien encore du texte n’apparaissait. Il avait fallu y croire fort, juste ça, y croire fort et accepter l’effort. Perdre de vue l’aboutissement.

 

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #Journal
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La théorie des ensembles et ils avaient appelé cela les maths modernes...https://www.facebook.com/eric.pessan

Le visage de ma mère. C'est ce qu'il avait ramené avec son post. Parce que l'auteur reconnu qui avait à sa botte plusieurs terrains de prédilection pour créer, en avait parlé dans une publication Facebook, et tout ce qui était remonté à la surface et flottait en plus du visage de ma mère comme des corps flottants - son titre à elle reconnue aussi - que fermer les paupières ou les garder ouvertes, rien ne disparaissait, ça restait comme en surimpression, ça demandait à être écrit, comme tant d'autres textes et tant pis si ce n'était pas le sujet actuel ni du blog ni de la page Facebook où tant d'autres projets attendaient sagement en file indienne comme en Allemagne ou en Suisse, les cheminées, les mille autobiographies  possibles... La théorie des ensembles ramenait le visage de ma mère, quand l'écrivaine qu'on appelait désormais romancière avait ramené le visage de son père et ce qu'on appelait le petit œil pour celui qu'il avait alors, lorsqu'il était parti loin de la table familiale tout en leur laissant son corps attablé, les romans qu'elle s'était imaginée qu'il inventait. Pour mon entrée en sixième année, des cours qui avaient eu lieu au lycée (collège en France) destinés aux parents et ma mère après sa journée de travail reprenant la voiture le soir pour y assister et plus tard me faisant les cours avant l'heure pour être bien certaine qu'à la rentrée je comprendrais, et le plaisir si vif que j'avais éprouvé ensuite en classe à hachurer ou à entourer en couleurs et les plus beaux croquis étaient les ensembles au nombre de trois, des patates comme il disait, l'écrivain, avec la partie illustrant l'intersection de deux ensembles et la toute petite au milieu, si restreinte au cœur des trois ovales - quand pour les dessiner bien réguliers, des plaques de plastique prédécoupées existaient et juste de la pointe du crayon suivre les bords - le privilège d'appartenir aux trois ensembles à la fois quand pour certains éléments ce serait condamnation à rester en dehors, être communs à un tout seul et ce petit pincement au cœur comme compassion et bémol à la joie prégnante de cette activité,  et bonheur lorsqu'on pouvait du crayon en couleur en unir au moins deux de ces ensembles le pouvoir de réparation et de puissance que ça vous donnait, ma mère s'assurant que je comprendrais, me mâchant le travail, mettant toutes les chances de mon côté, à cause de ce qu'elle avait choisi pour moi, me faire sauter une classe, entrer directement en deuxième année (CE1 en France) et comprendre seulement maintenant qu'avec la théorie des ensembles, c'était une fois de plus me transmettre sa peur que je ne comprenne pas, une peur que j'ai faite mienne jusqu'à la phobie. Lorsque deux sens viennent à l'esprit et ne pas pouvoir choisir si ça veut dire ça ou plutôt ça et c'est la panique, l'impression de ne pas comprendre, de comprendre moins bien, moins vite, face aussi à ce qui échappe au réel, ce qui n'est pas vrai, qui ne s'explique pas, la science-fiction, le surnaturel, ce qui ne se peut pas...  Et un jour pourtant oser l'écrire. 

les cycles précédents - le tiers livre, web & littérature

Les ateliers d'écriture de François Bon

le tiers livre, web & littérature

 

 

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photographie
Sans la photo, c'est mieux !

Elle sourit en me regardant. Ses dents sont parfaitement alignées et blanches. Ses traits sont réguliers et son sourire avenant. Elle porte des cheveux longs, ramassés en une queue de cheval basse. Ils n’ont pas été tirés exagérément. La coiffure laisse voir qu’ils sont fournis, le volume de la tête en témoigne. La ligne n’est pas stricte, ne partage pas de façon parfaitement égale les deux côtés du crâne. Un peu de flou savamment étudié. La trentaine florissante. Elle porte un polo bleu clair et un pantalon gris recouvert pas un tablier. Son buste est légèrement penché, les bras tendus tiennent un manche de balai nettoyeur. Le seau à côté est posé sur un petit chariot métallique. Il suffira de le pousser, les roulettes assureront un déplacement sans effort. Ici on préserve votre dos avec un matériel adapté. Un panneau jaune à deux branches indique un risque de glissade pour cause de sol mouillé. Tout a été réfléchi. Rien n’est laissé au hasard. Ici on pense à tout. Aucun accident n’est possible. Derrière la jeune femme, on distingue un ascenseur. C’est rassurant, un ascenseur brillant de métal neuf. Il indique qu’il s’agit de bureaux, pas de maîtresse de maison sur le dos. Pas de patronne dure et exigeante, même s’il s’agit bien de nettoyage. On mène le travail à sa guise. Aux pieds des mules orthopédiques blanches qui ne heurtent pas le sens de l’esthétique.  Le reflet de mon pied chaussé d’espadrilles posé sur le rebord de la porte vitrée. C’est précisément là qu’elle l’a posé sans doute, celle qui sortait de l’agence, lorsqu’elle a écrit au feutre rouge j’en ai ras le bol. En haut à droite de l’image qui occulte la vitrine de l’agence de placement genre Manpower. La puissance de l’humain… Elle dont on ne saura rien ni du corps ni du visage ni de l’âge ni des  pieds des articulations de ses mains de son dos de la chaussure à part le fait qu’elle avait bien dû la poser là au même endroit que moi pour écrire cette phrase qui sautait au visage à chaque passage. On ne saura rien d’elle à part qu’elle possédait une bonne orthographe.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #photos
Le nom qu'on leur a donné... Résidence secondaire 3

Le nom qu'on leur a donné... Résidence secondaire 3

La série des noms qu’on a donnés à ces villas d’une station balnéaire de la Manche. Et pour partager de l’extrêmement proche très vite via Facebook, c’est photographier qu’il fallait et en publier une par jour. La photo réduite à l’inscription au fronton, sur la barrière, la boîte aux lettres, le pilier du portail… Et pour rapprocher encore l’extrêmement proche, il m’avait fallu bien souvent utiliser le zoom de mon téléphone. La maladresse pour cette manipulation, écarter ou rapprocher les deux doigts au contact de l’écran et l’énervement qui s’en suivait de devoir s’y reprendre à deux ou trois fois. Recadrer depuis l’ordinateur au retour de promenade, il fallait. Appuyer sur la touche « améliorer », mais pas toujours. Parfois l’effet sombre de la photo d’origine convenait mieux à l’ambiance de la demeure. Cadrer était synonyme de couper, rejeter tout ce qui n’était pas l’inscription, le nom qu’on leur avait donné, à elles, résidences secondaires. Où l’on ne vivait pas à l’année avec l’utilisation de ce « à », dire « à l’année » plutôt que  toute l’année, on vit ailleurs toute l’année par choix ou par obligation. Partager de ces maisons le nom dont on les a baptisées, qui véhicule l’espoir qu’on y place d’une vie rêvée, de moments parfaits, de famille unie ou de solitude réparatrice. Depuis ce seul nom, laissez chacun qui déchiffre la photo imaginer le rêve qu’il véhicule, la famille qui possède le bien. Et gommer volontairement tout le reste, le laisser hors cadre, c’est ce que je m’étais promis, pour les mettre toutes sur un pied d’égalité : le rêve que chacune avait porté. Hors champ la taille, la vue mer, les balcons ouvragés, les toitures sophistiquées, les tourelles délicates, les bow-windows lumineux, les colonnes, les terrasses abritées, tout comme hors champ la taille réduite, le crépi bon marché, le revêtement synthétique, la cabane de pêche d’origine ou celle améliorée, agrandie, la construction minuscule entre deux grosses. Hors champ les ravages du temps, la décrépitude ou la toute fraîche rénovation aux teintes à la délicate netteté. Parce qu’à regarder la photo du nom de baptême, c’était comme regarder par le trou de la serrure et depuis ne rien voir, inventer, on pouvait.

Il y avait eu la série de photos prises, mais jamais publiées, que j’aurais intitulée à la manière de Sei Shõnagon Liste des choses abîmées avec les boîtes aux lettres rouillées, les grilles de portail rongées, les barrières de bois pourrissant dont une planche manquait, les volets blancs où la rouille des gongs dégoulinait comme d’une plaie béante…

Il y a ces phrases que j’accroche aux fils électriques photographiés qui s’offrent à l’écriture comme suspendre des mots avec des pinces à linge et si je dessinais bien, c’est le dessin que je ferais moi-même. Rajouter à la plume à l’encre noire sur la photo un fin tracé de pinces à linge, deux prévues pour chaque mot, et il y en aurait assez et pas toujours une qui manque comme ça se passe dans la vraie vie.

Il y aura les photos des cheminées normandes du même lieu de la Manche en retrait  du bord de mer. Leur aspect si massif par rapport à celles de mon pays d’origine. Plus imposante parfois que la maison elle-même. Une masse de granit à défoncer le toit, l’impression qu’elle donne. Comme quand celui qui fait la courte échelle est plus chétif que celui qui grimpe et le pied sur l’épaule et parfois jusque sur la tête fait trembler pour celui dessous. La cheminée quel soit son toit d’appui à vouloir atteindre le ciel.

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #Journal, #photos
Le nom qu'on leur a donné. Résidence secondaire (suite).

Toute la série sur mon page Facebook

La vie en face ne vous déplaise | Facebook

Texte à lire sur la wordpress de l'atelier d'écriture Tierslivre de François Bon. Lien ci-dessous :

#photofictions #01 | Pièce manquante – Tiers Livre | les cycles atelier d'écriture

Ou directement ci-dessous :

Un ovale plus rond qu’ovale en bois lamellé épais collé à un enduit de crépi clair. Il manque quelques morceaux de bois en haut à droite comme un puzzle presque achevé. Le bois  s’est patiné sous l’effet des intempéries et  des embruns. Les lettres ont été gravées directement dans la chair de la planche et elles sont bien lisibles. L’eau à stagner plus longtemps dans leurs creux les a foncées au point qu’elles paraissent noires. Le fond est clair. L’extrémité d’une tige de bambou laisse ses feuilles frôler le bois dans une caresse que la photo a figé. Elles se colorent d’un jaune inhabituel. Elles porteront témoignage de la sécheresse de l’été 2022. Si l’appareil photo de mon téléphone était de meilleure qualité, le cliché révélerait des boursouflures identifiables. Il s’agit de fines ridules dans le crépi comme quelque chose qui craque depuis le dedans. La laisse que je ne pouvais pas lâcher avait retenu mon bras, empêché le mouvement de rapprochement ou de recul que j’avais besoin d’amorcer, pour déterminer la bonne distance entre le sujet et l’appareil, l’avait entravé. Un tir à la corde entre le chien et moi. Les bras tendus avec une main encombrée. Libérer deux doigts pour zoomer.  Le résultat ne me satisfaisait pas, bien qu’à l’instant de la prise je ne puisse à peu près juger de rien avec la luminosité du soleil tombant sur l’écran. Il faudrait attendre le retour à la maison pour choisir lequel garder des trois ou quatre clichés pris. Je me sentais observée. Si cette villa était fermée, celles autour ne l’étaient pas. L’impression que leurs propriétaires m’observaient derrière leur rideau, prêts à intervenir, que faites-vous là, qu’il faudrait me justifier, expliquer que seule la plaque portant le nom de baptême de la maison m’intéressait, je pourrais leur faire voir les clichés, les rassurer, vous ne risquez pas le cambriolage, surtout éviter de parler de mon projet de publication, leurs cris imaginés rien qu’au mot Facebook, expliquer le choix du cadrage, surtout celui de tout ce qui resterait hors champ et pourquoi j’avais imaginé  mon projet ainsi, en laissant volontairement dans l’inexistence tout l’alentour de la plaque nominative comme ne photographier d’un bébé que le bracelet de naissance, celui en plastique de la maternité où le prénom était écrit à la main il y a quarante ans ou celui avec chaînette en or.  

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Publié le par Anne Dejardin
Publié dans : #littérature, #Journal

 

Lectures :

Emma de Jane Austen

Un promeneur solitaire dans la foule d'Antonio Munoz Molina

Marche : zéro

Sport : zéro

Voiture : 1400km

Résolutions : le tiers livre, web & littérature : #40jours | sommaire général du défi 40 jours d'écriture

31 Mai : Une fatigue incompréhensible s’est emparée de mon corps, m’oblige à vivre dans un état non exploré encore et qui se traduirait par dormir debout. Je ne trouve pas de cause précise et repérable, identifiable à cet épuisement qui me fait m’allonger dès que je peux et m’endormir immédiatement même si je ne dispose que de cinq minutes. C’est comme si quelque chose dont j’ignore tout forçait mon corps à abdiquer. La garde du bébé pour la première fois séparé de sa mère, le voyage éclair en Belgique entrent-ils par quelque chose dans cet état. La raison de ce retour au pays avec fille et petite-fille n’a pas été clairement identifiée. Quel est le besoin viscéral qui est resté de l’ordre du non-dit ? Alors que manger des frites, de la tarte au riz, des gaufres aux prunes, du filet américain, c’est le moteur énoncé qui signe l’envie du voyage en Belgique. Ce que j’aurais voulu et qui ne sera pas énoncé, c’est aller lire un extrait de mon livre sur leurs tombes. Ça, ça ne se dit ni ne se fait.

2 juin : Quelque chose dans le corps s’est apaisé. Cette fatigue écrasante des derniers jours n’était pas due à une sorte de burn out. L’esprit n’était pas en cause. Ce n’était qu’un tout petit virus tout banal qui s’était emparé du corps en catimini, sans qu’on puisse encore  le détecter. L’esprit n’aime pas que le corps flanche sans raison. Le voilà rassuré. Un ciel assez gris et une chaleur lourde. Si le soleil apparaît, il reste voilé. Les gens marchent hagards sur la promenade. Ils ne sourient pas à ceux qui les croisent. Les chiens en laisse ne tirent plus. Eux aussi semblent accablés. La mer est loin, comme détachée. On attend que quelque chose arrive. Et rien… Une sorte de cyprès a grandi sur le sommet de l’étroite dune que le vent attaque et réduit chaque année. Il est seul. Étrangement vaillant. En surplomb. Juste derrière lui au-delà de la promenade où il a entaché le sol d’un espace d’ombre, ses frères, pourtant protégés par deux solides villas estivales, sont bien abîmés. Leurs années sont comptées. Le corps protégé par l’écran qu’il offre contre le  soleil qui baisse tente de faire baisser sa température et l’esprit le remercie de son hospitalité.

3 juin : Est-ce le corps ou l’esprit qui a besoin d’amener la petite dernière née en Belgique comme tremper son corps de bébé dans quelque chose d’originel, l’imprégner d’on ne  sait quoi. Elle est trop jeune  pour être nourrie de frites et encore moins de filet américain. S’agit-il de baigner son oreille de l’accent liégeois ? Son pied  potelé et empoté ne pourra pas se poser à même la terre de ses ancêtres. Alors quoi ? Tout ce qui me vient de là-bas, je l’ai emporté ailleurs. À part des tombes il ne m’y reste rien. Et le corps alors. Il veut ou il ne veut pas. Pourquoi ses messages contradictoires. Ou alors l’esprit veut et le corps rechigne. Il essaie de mettre des bâtons dans les roues avec ses moyens à lui, la fatigue, un virus et même une douleur inexpliquée dans le genou droit, celui qui actionne la pédale de l’accélérateur de la voiture automatique qui depuis longtemps a ôté toute velléité de plainte au genou gauche.

5 juin : Le corps immobilisé un volant entre les mains. Le pied droit à actionner. Il force le mastodonte d’acier à s’enfoncer dans le brouillard. Quelque chose dans le corps résiste. Il faut aller outre. Plus tard c’est une pluie diluvienne qui autorise le retour du mot « drache ». Drache tambourine dans la bouche en adéquation avec la violence de la pluie qui s’abat sur le pare-brise et le toit. Ça drache et ça cogne. Ça s’harmonise dans le langage et dans la vie. Dans le parler bébé de ma fille à sa fille de 7 mois l’accent belge réapparaît comme pour transmission pleine d’une langue maternelle qui a depuis amoindri l’accent.

6 juin : Le corps a retrouvé la mémoire de la conduite. Ça s’est conduit tout seul finalement. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Les plus anciens qu’on voudrait prendre dans ses bras, serrer encore… tant qu’on peut, repousser le « encore une fois » qui se chuchote malgré soi au plus sourd de la tête, on ne se l’autorisera pas. On veut les protéger. Se rattraper avec ceux de la génération d’après et encore celle d’après. Les corps d’enfants cousins devenus adultes proches de la soixantaine. Les corps métamorphosés à se serrer et quelque chose émerge. La proximité ancienne des corps d’enfants comme restée en mémoire, une proximité passée, oubliée, mais ancrée depuis l’enfance et malgré la rupture qui a duré, quelque chose survit.

8 juin : La maison du bord de l’eau. Le toit rouge orange a gardé sa couleur, mais elle est comme ravivée et brillante. Les chassis et les portes sont en alu foncé. Les frottements contre le carrelage rouge de la porte se sont tus pour toujours. La porte vermoulue du garage n’existe plus. Des parpaings bruts bouchent  son ouverture. Par un côté de la maison on aperçoit le jardin. Les escaliers dont la seconde volée mènent à la rivière et les murets qui soutiennent les parterres de part et d’autre ont été rejointoyés. Tout est différent et même. Quelque chose subsiste qui peut continuer. La cheminée a été remise en route. Ce que le père avait muré sous le marbre noir du salon a été rouvert. Un tube en inox sort du mur extérieur et monte vers le ciel en s’appuyant aux briques du mur latéral.

10 juin : Écrire la ville en 40 jours avec François Bon. Quelque chose rechigne dans le corps. Le corps n’aime pas la ville. Le corps n’écrit pas la ville. Elle reste muette en lui, la ville. Le corps a besoin d’espace, d’horizon dégagé, de pouvoir suivre les lignes de fuite pour que naisse l’envie d’écrire. Jeter les yeux loin au-dessus de la feuille, de l’écran de l’ordinateur. Respirer large. Remplir le dedans de la cage avec du bon air, comme la grand-mère paternelle qui disait « à la bonne heure » quand elle approuvait quelque chose que venait d’accomplir l’enfant. Pour l’écriture ce serait pareil, la ville ne serait pas le bon endroit, pas la bonne place. La ville refuse au corps d’être sujet d’écriture.

le tiers livre, web & littérature : #40jours | sommaire général du défi 40 jours d'écriture

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