S’il me fallait une photo en buste, je prendrais celle-là. Elle sur la plage après une baignade de fin septembre, la mer grise, le ciel gris, le sable terne, un filtre verdâtre, une harmonie en somme. Les rochers derrière elle, ceux qui bordent la cale qu’ils descendent avec leur tracteur et leur bateau à moteur sur remorque ou les trotteurs. Du noir et du vert-de-gris, ce serait pour le fond et au premier plan son maillot noir d’une texture dont on déduisait de suite qu’il avait coûté cher. La coupe emprisonnait parfaitement la poitrine qu’elle avait généreuse sans débordement pourtant. Et deux anneaux dorés sobres et élégants, malgré leur grandeur, en métal bosselés de forme carrée, pour attacher les bretelles. Le visage nu sans lunettes sous la lumière de la fin d’après-midi faisait comme une offrande. Même les rides autour des yeux s’étaient évanouies. La peau bronzée contrastait avec quelque chose d’émouvant dans le visage. À part le doré des attaches des bretelles, deux perles aux oreilles pour seule frivolité. Et tout autour du visage les cheveux avaient été tirés à part la frange fournie et raide d’une blancheur qui tranchait avec le reste. Qui le soulignait. Ce qu’elle aurait pensé si j’avais pris cette photo ? Que j’étais amoureux ou que j’étais en train de m’éprendre d’elle. La photo parfaite, capable de capter tout ce que je viens de décrire, qui à elle seule aurait apporté de l’eau au moulin d’elle imaginant que j’étais subjugué. Mais je n’étais pas photographe. Ni amoureux. Je voulais juste saisir l’insaisissable, son grand corps musclé, qui malgré son âge faisait encore tout en force, comme un cheval puissant que le cavalier ne ménage pas, qui s’était immobilisé un court instant et s’était assis à même le sable.